« La Vie en face » – Regard d’une partenaire JSE Mecelink

Avant …

J’ai consacré les deux tiers de mon existence à gravir les échelons du monde professionnel pour atteindre les marches sécurisantes d’un univers doré et aseptisé.

Partie de loin, chaque marche gravie l’a été grâce à une main tendue, une écoute attentive, une expérience partagée, un conseil avisé, une confiance accordée, une expertise transmise.Pendant toutes ces années, j’ai établi des liens, croisé des gens lumineux et inspirants. Des âmes grises aussi, quelques fois.

Un jour, j’ai senti qu’une autre voie m’appelait. J’avais une soudaine envie de désapprendre, d’expérimenter, de m’affranchir de mes certitudes, de me questionner, de me rallier à la nature humaine et en sa formidable capacité à s’ouvrir à l’autre.

Une rencontre sur le ton de l’émotion

Il me faudra plus d’une heure de trajet ce matin de Février pour rejoindre les bureaux de l’entreprise cliente, situés à Boulogne. Comme à chaque fois que je traverse Paris en transports, je croise plus d’une dizaine de personnes sans abris sur mon trajet. Des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes ou moins jeunes. Certains ont encore la force de communiquer, d’autres ont érigé un mur de silence qui les protège du reste du monde.

Comme à chaque fois, je suis mal à l’aise. Je rumine, je compatis, je donne une pièce quand je le peux, j’offre un sourire, une oreille attentive. Mais c’est inéluctable. L’écart se creuse, l’équilibre est fragile, ce monde est malade. Rude tâche que de tenter de changer ce monde, mais si la vérité se cachait dans notre capacité à interagir avec lui ?

A mon arrivée, je suis invitée à m’installer dans une salle feutrée du RDC. Mes interlocutrices me dévoilent avec enthousiasme leur projet. Elles souhaitent mobiliser une trentaine de leurs collaborateurs dans deux mois sur une journée de solidarité. L’une d’entre elle me confie, du haut de ses vingt cinq ans, qu’elle est bénévole dans une association et qu’elle enfile sa blouse rose chaque lundi soir pour offrir de son temps aux enfants malades de l’Hôpital Necker.

Et elle souhaite aller plus loin et faire évoluer les consciences à l’intérieur de son entreprise. Guider ses collègues, éveiller les âmes, raviver les étoiles, organiser un pont vers le monde extérieur, partager son expérience personnelle, en quelque sorte.

Je suis subitement envahie d’une fierté pour cette jeune génération qui grandit les yeux bien ouverts sur monde. Cette génération encline à l’immédiateté, qui tente de se faire une place dans une société hyper individualiste, biberonnée au 2.0, habituée à s’exprimer à travers des clicks, des tchats et des « j’aime » sur les réseaux sociaux.Cette génération qui ne voit le monde qu’à travers des écrans, dit-on, mais qui, finalement peut aussi agir avec force et détermination, avec et pour les autres.

Les échanges sont fluides, les valeurs sont partagées, nous nous accordons sur le projet.

Le Jour J …

La douceur du Printemps. La journée s’annonce belle et ensoleillée. L’ambiance est musicale et festive. Aux manettes du barbecue, un jeune résident d’origine africaine manipule les spatules avec aisance et bonne humeur. Les tréteaux en bois sont recouverts de nappes en papier et regorgent de victuailles. Crudités à foison, couscous et salades de fruits frais mijotés par les locaux. Les membres de l’association, les collaborateurs et les résidents hébergés se côtoient dans une ambiance chaleureuse, ludique et joyeuse. Les barrières sont déjà tombées.

Passé le déjeuner, les collaborateurs vont laver, éplucher, épépiner, couper des fruits et légumes invendus des marchés. En l’espace de deux heures, ils vont préparer 45L de soupes et 36L de jus de fruits, en immersion totale dans ce lieu de mixité urbaine, temple du partage, de l’écoute et de la coopération.

Ils vont faire le bonheur de la centaine de résidents du foyer voisin, la plupart en situation d’exclusion ou en instance de régularisation, tous logés dans l’enceinte de cet ancien hôpital, au sein duquel ils travaillent et œuvrent au quotidien à la dynamique de cette économie circulaire.

Cette équipe a tenté, avec audace, bienveillance et détermination, d’incarner cette nouvelle conscience : chaque vie est unique, importante et utile. Le défi est d’établir un lien entre tous, un instrument de réflexion, source d’inspiration et d’impulsion. Détresses dissimulées et joies partagées se sont côtoyées. Chaque pas vers l’inconnu a été une opportunité de s’interroger sur le sens de notre existence.

Christine Lou Galluser, partenaire du cabinet Mécélink